Nicolas Schmit au sujet des défis dans le domaine de l'emploi

"C'est quand tout allait bien qu'il fallait réformer"

Interview: Thierry Nelissen

Le Jeudi: Après les élections, on vous prêtait un avenir de commissaire européen. Vous voilà barré par l'accession de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission. En nourrissez-vous de l'amertume?

Nicolas Schmit: De l'amertume, non. De la déception, très certainement. J'étais prêt à relever le défi, mais j'exprimerai mon engagement européen autrement. La vie est comme elle est. Il faut en accepter les événements.

Le Jeudi: Vous serait-il possible de retourner dans la diplomatie après avoir tâté de la politique avec un franc-parler assumé?

Nicolas Schmit: Justement, je suis diplomate, mais je dis les choses comme je les sens. Donc, il n'y a pas vraiment de problème, pas de changement de rôle significatif. Dans la vie, rien n'est jamais exclu.

Le Jeudi: Combien y a-t-il de chômeurs aujourd'hui?

Nicolas Schmit: Trop!

Le Jeudi: Pourquoi avoir rempilé au ministère de l'Emploi où, vu la tendance du chômage, on semble voué à annoncer de mauvaises nouvelles, comme un météorologue qui n'annoncerait que du mauvais temps?

Nicolas Schmit: Je suis un optimiste réaliste. Je crois qu'on va pouvoir progressivement stopper la hausse du chômage (ndlr: 7,2% en juin), faire baisser le nombre de demandeurs d'emploi. Nous sommes à un tournant. Les prévisions de croissance en attestent. Je ne suis bien sûr pas dupe des chiffres. Je sais que la conjoncture internationale peut renverser la tendance. L'instabilité dans les pays arabes peut avoir une incidence sur les prix de l'énergie. Et puis, entre la reprise de la croissance et sa traduction en création d'emplois, il y a toujours un décalage temporel. Mais pour le moment, on tient le cap. L'attrait du Luxembourg reste très fort. Un indice parmi d'autres? Le chômage partiel diminue, ce qui indique que l'économie va plutôt mieux.

Le Jeudi: Qu'est-ce qui a changé entre la coalition CSV-LSAP et le gouvernement DP-LSAP-Déi-Gréng?

Nicolas Schmit: L'ambiance de l'équipe est plus sympathique, elle me convient mieux. La collaboration est meilleure avec les collègues qui ont des dossiers en commun avec mon ministère. Je sens chez les autres ministres, notamment le Premier, une grande sensibilité par rapport aux réformes que j'ai engagées, comme celle de l'Adem (Agence pour le développement de l'emploi). Mais sur mes chantiers propres, il n'y a pas de grande différence... je m'inscris dans la continuité.

Le Jeudi: L'AdeM fonctionne mieux qu'il y a deux ans?

Nicolas Schmit: Si j'ai un reproche à faire à mes prédécesseurs, c'est bien de n'avoir pas mis en oeuvre les réformes nécessaires. L'Adem fonctionne sérieusement mieux qu'il y a deux ans, même si les résultats ne sont pas nécessairement spectaculaires. Une réforme similaire, en Allemagne, a mis douze ans à sortir ses effets. Ici, pendant des années, les structures de prise en charge des demandeurs d'emploi avaient été laissées pour compte. C'est quand tout allait bien qu'il aurait fallu réformer. Aujourd'hui, nous devons mener de front la réorganisation des services et la prise en charge d'un nombre de plus en plus grand de "clients". C'est difficile! Mais on a pris le taureau par les cornes. Le service fonctionne mieux. On a fait un grand saut qualitatif, et l'Adem dispose aujourd'hui d'une direction motivée et compétente qui a ma pleine confiance et avec laquelle il est possible de travailler dans une entente parfaite. C'est une bonne garantie de succès. Mais attention: quand le chômage augmente, l'Adem ne crée pas d'emplois par elle-même, pas plus qu'elle ne change le profil des demandeurs d'emploi. Une bonne raison pour agir toujours plus sur la formation. J'ai participé récemment à Madrid à une réunion sur la politique de l'emploi. Ce mot "formation" était le leitmotiv des discussions.

Le Jeudi: Un exemple concret de la mutation de l'Adem?

Nicolas Schmit: L'informatique. On a rattrapé en la matière un retard de dix ans ce qui, dans d'autres secteurs, équivaudrait à un siècle... Dans un an, nous disposerons d'outils performants qui faciliteront la gestion des dossiers, de l'encodage des demandeurs à celui des offres d'emploi et l'adéquation entre les deux.

Le Jeudi: Les attentes des citoyens envers l'Etat en matière d'emploi sont souvent élevées. Jusqu'à quel point est-ce justifié?

Nicolas Schmit: L'Etat a ses responsabilités. Le demandeur d'emploi aussi. Il doit, au moins, être coopératif. Ce n'est pas le ministre du Travail qui crée les emplois. Mais il peut offrir un bon service de prise en charge (c'est le rôle de l'Adem), des possibilités de se réorienter et d'être accompagné et renforcer les liens avec le monde économique. En cette matière, l'Adem était en déphasage total avec les entreprises. Le service «Employeur» est aujourd'hui une pièce -maîtresse de notre dispositif. Il n'en reste pas moins que souvent, les demandeurs d'emploi ne correspondent pas aux _ profils recherchés. On a pu trouver utile de donner de l'argent aux entreprises pour occuper des chômeurs qui n'avaient pas le profil... Je préfère qu'on les forme, pour qu'ils accèdent à des emplois valables. De toute façon, c'est plus rentable pour l'Etat d'investir dans la formation de quelqu'un qui retrouvera ainsi un emploi que de lui allouer des indemnités sans projet d'accompagnement.

Le Jeudi: Que vous inspire la notion de "plein emploi"?

Nicolas Schmit: C'est un objectif qu'il ne faut pas perdre de vue... Pour les économistes, c'est en réalité entre 2 et 4% de chômage. Ce qui m'inquiète au Luxembourg, c'est le chômage structurel, qui touche particulièrement les jeunes et les plus âgés. En faveur de ces derniers, je lancerai à l'automne une action de sensibilisation. Des entreprises témoigneront de la valeur ajoutée que des travailleurs plus âgés leur apportent. On ne peut pas vivre dans une société où on se veut toujours jeune à 80 ans, mais où on ne serait plus compétitif sur le marché du travail à 45 ans.

Le Jeudi: La récente faillite de Thermolux (6o salariés sur le carreau) était un mauvais signe.

Nicolas Schmit: Il y avait d'autres solutions que la faillite. Je ne m'explique pas qu'on soit arrivé à cet extrême, sans doute par manque d'une culture de dialogue au sein de l'entreprise. En Allemagne, un bon dialogue social, avec une délégation forte, sont les garants du bon fonctionnement de l'économie. Cette culture, elle a existé ici dans le passé. Il faut vraiment remettre en place les conditions de ce dialogue.

Le Jeudi: Comment voyez-vous le pays dans vingt ans? Doit-il continuer sa course pour la croissance, attirer toujours plus de main-d'ceuvre, dans un espace qui n'est pas extensible?

Nicolas Schmit: Je ne suis pas défenseur de la croissance zéro; ce n'est pas une option. Je crois à une autre forme de croissance davantage axée sur la qualité. On ne pèut pas extrapoler sur base du passé et dire qu on a besoin chaque année d'une hausse de 2,5 ou 3% de la population active. A terme, ce n'est pas tenable. Regardez les autoroutes saturées... Le passé est le passé, il faut toujours réinventer l'avenir et le Luxembourg a été plutôt bon en la matière. Aujourd'hui, il faut réfléchir à un autre type de croissance, miser sur la productivité, l'innovation, l'environnement. Ce dernier secteur est non seulement un élément à préserver, mais il est source de nouvelles activités. Nous travaillons d'ailleurs avec Mme Dieschbourg et M. Gira sur un concept d'emplois verts qui va de profils peu qualifiés à des emplois très qualifiés. Il faut explorer ces possibilités créatrices d'emplois. Tout comme il faut travailler sur le problème du logement, un élément crucial. On sait bien qu'on ne fera pas baisser les prix d'un coup, mais il faut au moins endiguer la hausse permanente. Les plans sectoriels vont donner un peu d'air en libérant de l'espace constructible.

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