Nicolas Schmit au sujet de l'ouverture du marché de travail aux travailleurs roumains et bulgares

Le Quotidien: Il est probablement prématuré de tirer des conclusions, mais constatez-vous déjà une certaine tendance, quant à une augmentation sensible d'inscriptions de travailleurs roumains et bulgares, désireux d'intégrer le marché de l'emploi national, à l'Agence pour le développement de l'emploi (Adem)?

Nicolas Schmit: Non, je n'ai aucune indication au sujet d'un potentiel afflux, dû à l'ouverture de notre marché de l'emploi au 1er janvier. Les chiffres que nous détenons actuellement et liés aux ressortissants de ces deux pays sont relativement modestes. Ils sont en effet quelques centaines au Luxembourg.

Le Quotidien: Qu'en est-il des permis de travail délivrés l'année passée, alors que l'ouverture du marché de l'emploi aux citoyens de ces deux pays n'était pas encore effective?

Nicolas Schmit: Sur l'intégralité de l'année 2013, nous n'avons même pas atteint le total de 200 permis de travail délivrés et ce, au 31 décembre 2013.

Le Quotidien: Y a-t-il eu une évolution par rapport aux années précédentes?

Nicolas Schmit: A l'heure actuelle, il y a quelque 2000 Roumains au Luxembourg, chiffre reflétant essentiellement des fonctionnaires des institutions européennes et les membres de leurs familles respectives. Je le répète, les statistiques sont assez modestes. Je note également la présence de 28 étudiants roumains et de quelque 400 travailleurs salariés.

Le Quotidien: Disposez-vous d'informations concernant les pays voisins du Luxembourg, qui ont également libéralisé leur marché de l'emploi au 1 janvier?

Nicolas Schmit: Je remarque que les chiffres sont également modestes en Allemagne, où ce qui est présenté comme une réelle menace s'avère très localisé. Il s'agit par ailleurs d'un jeu extrêmement dangereux, auquel s'adonnent certains partis politiques, a priori non populistes. En Allemagne, cela concerne essentiellement la Bavière et la CSU (NDLR: parti frère de la CDU au niveau bavarois), alors que les chiffres des ressortissants de ces deux pays restent également modestes. Au Royaume-Uni, on remarque que le Parti conservateur (NDLR: Conservative Party) fait de la concurrence à I'UKIP (NDLR: Parti pour l'indépendance dont le leader est l'emblématique et controversé eurodéputé Nigel Farage) sur ce thème.

Le Quotidien: Qu'est-ce que ce genre de campagne populiste vous inspire?

Nicolas Schmit: Il s'agit d'un jeu extrêmement dangereux! Si l'on joue avec les angoisses, en accusant l'Europe d'être la cause de fraudes sociales, il ne faut pas s'étonner que les partis populistes l'emportent en fin de compte. L'UE risque d'en pâtir. Je remarque, en outre, que les slogans utilisés en Bavière sont assez provocateurs.

Le Quotidien: Quel est le rapport de telles campagnes avec le principe de libre circulation?

Nicolas Schmit: La libre circulation est l'élément central de la construction européenne. Il ne faut pas jouer avec ce principe. D'autre part, il faut veiller à ce que celle-ci ne soit pas utilisée par les gens qu'en vue de bénéficier d'avantages sociaux. La Cour de justice de I'UE a été saisie sur ce point et devra donner des informations quant aux droits des citoyens de I'UE à passer d'un pays à l'autre. Sur un dernier aspect, je constate qu'une partie de l'Europe est en crise. Le chômage, la pauvret et la misère y explosent. Là-même se situe le problème de l'UE!

Le Quotidien: Comment cela se caractérise-t-il concrètement?

Nicolas Schmit: Par le manque de développement économique, une croissance trop faible, un faiblissement de la soudarité... Parlons de pauvreté, au lieu de migrations de pauvreté!

Le Quotidien: Est-ce dû à l'inadéquation des politiques économiques appliquées?

Nicolas Schmit: En effet. La pauvreté se crée par des politiques économiques qui sont mal agencées. La politique d’austérité est mal agencée et le budget de I'UE n'est pas à la hauteur de ces défis. Une Europe sociale qui comprendrait des minima sociaux fait défaut. Là est le débat! Et ce débat devra nécessairement être porté en vue des élections européennes.

Le Quotidien: D'un point de vue personnel, pensez-vous qu'un afflux massif de travailleurs roumains et bulgares sera effectif?

Nicolas Schmit: Je ne suis pas Madame Soleil... mais je ne pense pas que ce sera le cas.

Le Quotidien: Néanmoins, dans l'hypothèse d'un tel afflux qui viendrait à se concrétiser à moyen terme, y aurait-il des postes à pourvoir, au Luxembourg, pour ces derniers?

Nicolas Schmit: Nous nous trouvons actuellement dans un système paradoxal; on crée de l'emploi, alors que le chômage augmente en même temps. Bien sûr, il y a certains secteurs qui offrent plus d'opportunités que d'autres. Mais il faut, d'un autre côté, lancer un message et ce, aussi bien aux ressortissants roumains et bulgares que portugais, à savoir que le Luxembourg connaît des difficultés avec son marché du travail et que les gens qualifiés sont plus enclins à trouver du travail que les demandeurs qui ne disposent pas de qualifications.

Le Quotidien: En 2007, à l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans IUE, le Luxembourg a choisi d'appliquer des restrictions et ce, sur la période maximale de 7 ans, jusqu'au 1 janvier 2014. Pour quelles raisons?

Nicolas Schmit: Premièrement, il faut savoir que le Luxembourg connaît une augmentation du chômage et rencontre des difficultés sur son marché de l’emploi, depuis plusieurs années. Il s'agit d'une tendance à long terme et notamment vis-à-vis des gens peu qualifiés. Sur un second point, il faut comprendre que si la plupart de nos voisins ont pris ces mesures transitoires - Allemagne, France, Belgique - il est difficile pour un pays qui se situe "au milieu" de ne pas le faire.

Le Quotidien: Selon une "vision roumaine", estimeriez-vous que le Luxembourg soit une destination privilégiée en vue d’émigrer?

Nicolas Schmit: Je me rappelle que lorsque l'Espagne avait décidé de ne pas appliquer les mesures transitoires, plusieurs milliers de Roumains avaient afflué dans ce pays, où dans certaines villes, des quartiers entiers étaient habites par des ressortissants roumains. Mais le Luxembourg n'est pas, a priori, une destination privilégiée.

 

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