"Je ne tairais jamais mes convictions", Nicolas Schmit au sujet du dialogue social, de la politique d'immigration et de la réforme de l'ADEM

Bertrand Slézak: Deux mois après avoir été l'objet de virulentes attaques de la part de l'opposition, quel regard portez-vous, avec du recul, sur cet épisode?

Nicolas Schmit : Ce n'est plus un sujet pour moi. Mais il y a sûrement des blessures.

Bertrand Slézak: Qui restent encore aujourd'hui?

Nicolas Schmit : (Silence) Bien sûr.

Bertrand Slézak: Avez-vous pensé à démissionner?

Nicolas Schmit : Je crois que je me suis déjà expliqué longuement, il y a beaucoup de choses qui m'ont traversé l'esprit. Je n'ai pas besoin de revenir sur cette histoire. Je refuse d'en parler.

Bertrand Slézak: Le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, vous a apporté son soutien. Était-ce pour recevoir en échange un arrêt des critiques que vous aviez formulées à l'époque de l'échec de la tripartite?

Nicolas Schmit: Je n'ai pas directement demandé d'être en politique. Maintenant que j'y suis, c'est pour dire des choses en lesquelles je crois, pour faire bouger les choses. Je suis quelqu'un qui a des convictions et mes convictions, je ne les tairais jamais.

Bertrand Slézak: La coalition CSV-LSAP est-elle de nouveau en rangs serrés?

Nicolas Schmit: Nous avons eu un échange ouvert et très positif. Cest une phase de préparation importante. Et je pense que nous allons arriver à des propositions portées par les deux partis de la coalition.

Bertrand Slézak: Vous êtes donc d'accord sur tout?

Nicolas Schmit: Je ne dis pas cela.

On est d'accord sur la direction à prendre. Il y a des choses qui ont été revues. Nous allons avoir un nouvel échange dans moins de quinze jours. Nous aurons des projets plus précis des ministres concernés. Je ne veux pas aller dans les détails mais ce qui est important est que c'est un processus de préparation tel qu'il doit être et je suis confiant : on va se retrouver sur un vrai projet de réforme de la Fonction publique. C'est un projet dans l'intérêt d'une Fonction publique moderne, dans l'intérêt des fonctionnaires. Ce n'est pas une campagne de punitions contre les fonctionnaires, c'est une réforme, inspirée des réformes qui ont eu lieu dans d'autres pays. Elle vise à donner à notre pays, qui en a absolument besoin, un service public de haute qualité. Il faut expliquer les vrais objectifs de cette réforme.

Bertrand Slézak: Il y a un peu moins d'un an, vous exprimiez vos craintes que les familles avec enfant paient la note des économies faites par le gouvernement. Cette crainte a-t-elle totalement disparu?

Nicolas Schmit: Quand je regarde ce qui a fait, je n'ai plus cette crainte. Ce qui avait été proposé a été assez sensiblement modifié. C'est le résultat, là aussi, d'un débat ouvert. Il ne faut pas craindre le débat. La démocratie vit du débat, de l'échange, elle ne peut pas être monolithique.

Bertrand Slézak: Pensez-vous qu'il soit possible qu'une relance du dialogue tripartite intervienne rapidement?

Nicolas Schmit: Il y a déjà eu une première relance (NDLR: il y a quelques jours, une réunion informelle a rassemblé le Premier ministre, le patronat et les syndicats). C'était surtout sur des sujets européens mais ce sont des sujets qui nous concernent directement. Je suis donc assez confiant que l'on va progressivement retrouver le rythme du dialogue tripartite dont on a besoin. Il n'y a aucune raison pour que l'on ne puisse plus se réunir à trois et arriver à des résultats.

Bertrand Slézak: Est-il néanmoins nécessaire de faire évoluer ce modèle?

Nicolas Schmit: Il faut toujours faire évoluer les modèles. Ceux qui ne le font pas vont un jour être périmés. Nous avons connu des échecs mais je rappelle que nous en avons aussi connus par le passé, comme au début des années 80, sous le Premier ministre Werner. Je ne crois pas, qu'à partir d'un échec ou d'une absence de résultats, comme au printemps de l'année dernière, il faut conclure que le modèle tripartite est condamné. Bien sûr, il faut peut-être revoir un peu les méthodes de travail et les préparations de ces réunions. Il y a toute une série de changements ou d'ajustements qu'il faut entreprendre, mais je reste personnellement un adepte de la méthode tripartite.

Bertrand Slézak: Quelles sont les pistes vers lesquelles il faut s'orienter pour améliorer son efficacité?

Nicolas Schmit: Il faut d'abord dédramatiser les réunions tripartites, ces grandes messes où l'on se réunit à je ne sais pas combien autour d'une table, coude à coude, avec peu de place. Il faut veiller à ce que l'ordre du jour soit plus équilibré pour que chacun s'y retrouve. Lorsque tout est focalisé sur un point, comme par exemple l'indexation ou le problème des finances publiques, ça devient plus difficile. Il faut introduire d'autres sujets de réforme qui font évoluer notre système social dans un sens positif. Si on y arrive, on peut avoir la fin des solutions équilibrées.

Bertrand Slézak: Trop d'enjeux sur une réunion tue la réunion?

Nicolas Schmit: Plus vous augmentez la pression, plus vous rendez les compromis difficile. Tout le monde craint, à la fin, d'apparaître comme celui qui a cédé, qui a perdu la face. Moins de pression, aller au fond des choses, consulter peut-être encore davantage ce sont des processus assez lourds, qui ont besoin d'investissement en temps, mais qui peuvent être payants. Le passé l'illustre assez bien.

Bertrand Slézak: En tant que ministre de l'immigration, êtes-vous inquiet de la situation en Afrique du Nord et de l'afflux massif d'immigrés vers l'Europe?

Nicolas Schmit: Bien sûr que je suis sensible à cette question. Il y a aussi des risques de flux massif en provenance de Libye. Mais je crois que cette question ne peut pas être réduite à une question de flux migratoires. Derrière, il y a des problèmes politiques, ce qui se passe en Libye en est un majeur, des problèmes économiques fondamentaux en Afrique du Nord et, plus largement, en Afrique. On doit, enfin, être conscient de l'urgence qu'il y a à s'occuper de l'économie de nos voisins de la partie sud de la Méditerranée et de la situation en Afrique. L'Europe ne peut pas y échapper. Nous discutons beaucoup du pacte pour l'euro, du pacte pour la compétitivité. C'est bien, nous devons le faire, nous devons aussi stabiliser notre propre économie, mais il y a des menaces, des facteurs de déstabilisation autrement plus sérieux qui se trouvent à nos portes.

Bertrand Slézak: Doit-on s'attendre à ce que ces immigrés remontent jusqu'au Luxembourg?

Nicolas Schmit: Les flux sont là, j'en ai toutes les semaines. Ils ne viennent pour le moment pas du sud, ils viennent des Balkans. Mais si je calcule le nombre de demandeurs d'asile que nous avons actuellement en rapport avec la population luxembourgeoise, je ne suis pas loin des chiffres des Italiens. Ce mois-ci et le mois dernier, il y a eu des semaines où on frôlait la centaine de demandeurs dasile. Nous devons aussi mettre en oeuvre des politiques à l'égard de ces pays. J'ai d'ailleurs déjà pris contact avec la Serbie. Il est inacceptable que nous supprimions les visas à ces pays et qu'en conséquence, il y ait des flux d'une telle ampleur. Sur l'Afrique, il est clair qu'il faut être vigilant quant à la situation en Libye. Kadhafi risque de reprendre le contrôle du pays, cela m'inquiète.

Bertrand Slézak: Entre les deux extrêmes qui sont de soit renvoyer tout le monde, soit garder tout le monde, où doit-on placer le curseur pour gérer cette crise?

Nicolas Schmit: Pour ceux qui sont en danger, je pense par exemple aux Libyens qui risquent leur vie, il n'y a pas de discussion, ils doivent être protégés. À côté, il y a l'immigration économique. Certes, l'Europe aura besoin d'immigration, mais il ne faut pas qu'elle se produise ainsi: les gens prennent des risques impossibles en partant sur des embarcations de fortune. Il faut essayer à travers un dialogue, une aide sur place, de permettre une certaine immigration mais donner en même temps des perspectives aux jeunes dans leur pays. C'est un processus lent mais il faut commencer aujourd'hui. Il y a urgence.

Bertrand Slézak: Vous avez récemment dit que le Luxembourg était submergé...

Nicolas Schmit: Je suis formel ceux qui ne méritent pas le droit d'asile doivent retourner chez eux. Nous allons tout mettre en oeuvre pour que cela se passe ainsi. Pour ceux qui ont besoin de protection, il faut les accueillir. Et c'est pour qu'ils le soient dans des conditions correctes que nous ne pouvons pas accepter une autre forme d'immigration incontrôlée.

Bertrand Slézak: Avec votre passé de diplomate, ne pensez-vous pas que la communauté internationale a décidé d'agir trop tard en Libye?

Nicolas Schmit: C'est très tard. Mais il vaut mieux tard que jamais. Il faut regretter que les choses se soient passées aussi lentement mais, malgé tout, il y a eu un signal. J'ai bon espoir que l'on mettra en oeuvre des actions pour éviter le pire.

Bertrand Slézak: Le gouvernement luxembourgeois aurait-il dû adopter une position moins frileuse?

Nicolas Schmit: Je ne vais pas maintenant faire le procès des uns ou des autres. Ceux qui se sont prononcés pour une action en faveur des combattants pour la démocratie ont eu raison. Certains pays ont été davantage engagés. Je regrette surtout que l'Europe ait été divisée. Ce n'est pas glorieux pour l'Union européenne (...) Le Luxembourg n'a jamais plaidé l'inaction, y compris avec des moyens militaires. Le système des Nations unies est un systême compliqué qui, malgré tout, ne doit pas être négligé (...) Au moins, on na pas à se reprocher d'avoir tourné les yeux et de n'avoir rien fait. Passer par le Conseil de sécurité nous a coûté des jours précieux mais la décision qu'on a pu obtenir est plutôt positive.

Bertrand Slézak: Pour finir, votre actualité, c'est aussi la réforme de I'Adem. Il y a quelques jours, dans nos colonnes, le directeur de l'Union des entreprises iuxembourgeoises rapportait une anecdote qui semble témoigner d'un dysfonctionnement certain (voir les repères). Est-ce une situation qui vous étonne?

Nicolas Schmit: Non, elle ne m'étonne pas mais je crois qu'il ne faut pas partir d'un cas et généraliser. Que tout ne soit pas parfait à l'Adem, même encore aujourd'hui, c'est vrai. C'est d'ailleurs pour cela qu'il faut engager une vaste et profonde réforme. Mais j'ai aussi des échos de chefs d'entreprise ou autres représentants d'employeurs qui me disent que, depuis un certain temps, les choses vont beaucoup mieux. Quand une administration dort pendant des années, voire pendant des décennies, peut-être aussi parce que le problème du chômage était moins pressant, on ne peut pas s'attendre à ce qu'elle se réveille un beau jour et que tout marche comme sur des roulettes. Nous allons améliorer rapidement le fonctionnement de l'Adem, le traitement des demandeurs d'emploi et les réponses aux employeurs. Nous sommes d'ailleurs en train de le faire.

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