Nicolas Schmit, Discours à l'occasion de la 100ème session de la conférence internationale du travail, Genève

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur Général,

Cette 100ième session de la conférence Internationale du Travail de l’OIT nous invite avant tout à regarder de l’avant et à concentrer nos efforts sur les immenses tâches qui doivent être menées à bien.

Les progrès qui ont été obtenus au fil des décennies sont remarquables. Sans l’OIT et ses Conventions, le monde du travail n’aurait pas évolué comme il l’a fait. Mais nous devons aussi reconnaître que notre organisation a parfois eu du mal à se faire entendre. C’était notamment le cas dans les années trente, au moment de la grande dépression, quand elle plaidait contre l’orthodoxie en faveur de politiques de relance et d’emploi pour sortir les pays du chômage de masse. Celui-ci a finalement mené au totalitarisme et au cataclysme de la seconde guerre mondiale.

Aujourd’hui, à la sortie d’une crise économique, sociale et financière virulente, nous sommes confrontés à de nouveaux défis. La Déclaration sur la justice sociale pour une mondialisation équitable tout comme le Pacte pour l’emploi, adoptés en 2008, sont des réponses innovatrices qu’une gouvernance économique qui connaît des avancées trop modestes devrait pleinement prendre en compte.

Mon pays, le Luxembourg, est convaincu que développement économique et progrès social doivent aller de pair. Nous sommes attachés à la promotion du dialogue social tripartite.

Nous félicitons le Directeur général du travail accompli, mais surtout du rôle accru qu’il a su obtenir pour l’OIT, notamment au sein du G20. Nous partageons également les analyses présentées dans son Rapport intitulé « Une nouvelle ère de justice sociale ».

Oui, nous devons avoir le courage de tirer les leçons de cette crise qui pour beaucoup de pays et des centaines de millions d’êtres humains frappées par le chômage, la précarité, voire la pauvreté, n’est nullement terminée.

Les dogmes autant que les intérêts des créanciers et des rentiers résistent à la mise en œuvre de politiques qui remettent au centre le développement de l’économie réelle, le respect de l’environnement naturel fortement menacé par le réchauffement climatique ou des catastrophes comme celle de Fukushima, ainsi que la réduction des inégalités et des déséquilibres sociaux.

Nos sociétés au nord comme au sud doivent changer de modèle de développement. Nous avons en effet besoin d’une croissance économique dont les fruits sont plus équitablement répartis et qui soit plus respectueuse des ressources naturelles limitées qui constituent la base même de la survie de notre planète.

Une mondialisation qui fait fi de ces équilibres est source de conflits, de catastrophes, de ruptures irréparables.

Nous avons en effet besoin d’une mondialisation assortie d’une forte dimension sociale. Qui mieux que l’OIT, grâce à sa composition tripartite, peut promouvoir activement cette approche ? Je voudrais à cet égard féliciter pour son engagement, Mme Bachelet, Président de la Commission qui travaille sur ce sujet.

Je mentionnerais trois axes fondamentaux qui en cette phase du développement me paraissent particulièrement importants :

1. L’emploi : le chômage continue à faire des ravages. Des millions de jeunes de la Tunisie et de l’Egypte, pays dont les jeunesses courageuses éprises de démocratie méritent tout notre soutien, à la Grèce, au Portugal et à l’Espagne, mais aussi en Afrique et ailleurs risquent de devenir des existences brisées.

Ce n’est pas acceptable. Prenons leur indignation au sérieux. Adaptons nos politiques macroéconomiques et nos politiques budgétaires pour répondre efficacement à ce gâchis économique et à ce drame déstabilisateur. Les politiques d’austérité imposées sans discernement tout en ménageant les créanciers ne font que plonger ces pays dans une récession durable et une paupérisation rampante. Le monde a besoin d’investissements considérables créateurs d’emplois, mais aussi pour assurer les besoins essentiels et maîtriser les défis écologiques. Pourquoi les agences de notation si soucieuses des intérêts du monde financier ne se préoccupent pas de la stabilité sociale de ces pays et du sort de ces générations sacrifiées ?

2. La place et la valeur du travail : le travail ne doit pas être considéré comme n’importe quelle autre marchandise. Il y a travail décent s’il est assorti de droits : comme par exemple, celui d’une rémunération qui permet de vivre correctement – on en est souvent très loin surtout quand la précarité qui empêche les salariés à organiser leur vie devient de plus en plus la règle ; le respect de la santé et de la sécurité des travailleurs – c’est un des grands combats de l’OIT qui doit être poursuivi notamment à travers la mise en place d’inspections du travail efficaces et dotées de réels pouvoirs ; le droit et la liberté pour les salariés de défendre leurs intérêts et souvent leur dignité.

3- La mise en place ou la consolidation de systèmes de protection sociale. C’est un des sujets majeurs de cette centième conférence. Il est au cœur d’une mondialisation plus équitable. Que 75 à 80% de la population mondiale ne disposent pas d’une protection sociale quand ils tombent malades, quand ils sont victimes d’un accident ou quand ils vieillissent, doit nous interpeller. Les systèmes de protection sociale ne sont pas seulement des piliers de la justice sociale, ils sont également des facteurs de croissance et de stabilisation économique. La Convention No. 102 qui définit les normes minimum de protection sociale a été ratifiée par moins de cinquante pays. La Conférence de 2001, en affirmant un nouveau consensus international tripartite en matière de sécurité sociale a souligné que « l’accès à la sécurité sociale est un droit humain fondamental et un instrument pertinent et irremplaçable d’équilibre social pour le 21ième siècle ». Il appartient en effet à une gouvernance mondiale renouvelée de promouvoir la coopération internationale à cet égard. Il faut bâtir comme cela a été préconisé par le Forum International qui s’est tenu à la fin de l’année dernière en Afrique du Sud, « une sécurité sociale dynamique, garantie de la stabilité sociale et du développement économique ». Si certains pays du sud ont fait des progrès remarquables à cet égard, il y a des risques dans des pays développés, notamment ceux confrontés à la crise de la dette, d’un démantèlement des systèmes de protection sociale au nom d’une orthodoxie économique et financière érigée en seul paramètre. L’Etat providence s’il faut le réformer et l’adapter en permanence n’est nullement un modèle dépassé, surtout en période de crise.

Je me félicite à cet égard des résultats des travaux de la Commission pour la discussion récurrente sur la protection sociale que l’Ambassadeur du Luxembourg a eu l’honneur de présider. En adoptant vendredi prochain le rapport et les conclusions de cette Commission, cette 100ième session de la Conférence ouvrira un chapitre nouveau dans l’histoire de la sécurité sociale en se prononçant en faveur d’une recommandation qui complète les normes existantes et qui préconise la mise en place de socles de sécurité sociale. Cette Conférence contribuera ainsi à promouvoir les valeurs qui devront façonner cette ère nouvelle de justice sociale dont le monde a en effet besoin pour ce siècle.

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