"L'offre de formation doit être traitée avec plus d'attention". Le ministre du Travail et de l'Empoi, Nicolas Schmit, au sujet du marché de l'emploi au Luxembourg

paperJam: Monsieur Schmit, dans quel état se trouve, aujourd'hui, le marché de l'emploi au Luxembourg?

Nicolas Schmit: Nous venons d'avoir deux mois consécutifs de baisse du chômage de façon relativement significative, d'un peu plus de 3%. Il faut, certes, relativiser ces chiffres, mais le chômage semble globalement se stabiliser. Evidemment, il convient d'être prudent, car ce sont des chiffres bruts à considérer dans un contexte saisonnier. Mais même avec la prise en compte des variations saisonnières, il y a une stabilisation, voire un très léger fléchissement.

paperJam: Cela est-il de nature à vous rendre optimiste?

Nicolas Schmit: Oui, mais je reste très prudent, même si j'ai des indications me disant que les embauches reprennent. Le contexte économique général en Europe n'est pas encore stabilisé et nous ne savons pas exactement quel impact auront les plans de consolidation budgétaires qui ont été engagés. La croissance générale en Europe pourrait rester faible, ce qui aura un impact sur l'emploi, particulièrement l'emploi industriel au Luxembourg.

Par ailleurs, si nous observons aussi une stabilisation, voire une légère reprise dans le secteur des services, notamment autour du secteur financier, il y a aussi des éléments inconnus à suivre de près, liés à la restructuration et à la réorientation de la Place en général et d'un certain nombre d'établissements financiers en particulier.

Quand je regarde ce que disent des sites spécialisés d'offres d'emploi, je constate qu'il y a une reprise des offres visant des personnes de plus en plus qualifiées, et hautement qualifiées de surcroît. Mon problème est que le gros des demandeurs d'emploi est constitué de gens peu ou pas qualifiés: près de la moitié des demandeurs d'emploi inscrits à l'Adem (il y en avait au total 14.111 fin avril, ndlr.) sont dans ce cas et se retrouvent sur un marché du travail où la tendance va vers plus de qualification. Ce décalage constitue le vrai problème du chômage au Luxembourg.

Il faut aussi tenir compte du fait qu'à peu près 22% de nos demandeurs d'emploi sont des travailleurs handicapés ou à capacité de travail réduite, soit près de 3.000 personnes.

paperJam: Qu'en est-il des frontaliers?Sont-ils, comme beaucoup le disent, les premières victimes de la remontée du chômage au Luxembourg?

Nicolas Schmit: Je ne dispose pas des chiffres exacts, mais j'espère bientôt savoir combien de frontaliers ont réellement perdu leur emploi. Ce que je sais, en revanche, c'est que le nombre global de frontaliers n'a pratiquement pas baissé et on observe même de nouveau une légère augmentation.

Ce qu'il faut noter, tout de même, c'est que pendant les mois où la crise a été la plus virulente, le nombre de personnes travaillant dans l'intérim a fortement baissé, de plusieurs milliers d'unités. Et ceux qui ont été les plus affectés par cette baisse, ce sont les frontaliers qui occupent ces emplois intérimaires a 80-85%, dont 50% de Français. Mais aujourd'hui, l'intérim repart et mécaniquement, ce sont donc les frontaliers qui bénéficieront de cette reprise. Le problème reste que, au Luxembourg, il faudrait aussi pousser les demandeurs d'emploi résidents vers l'intérim, sachant que bien souvent l'intérim peut être une porte vers un emploi durable.

paperJam: Vous espérez avoir bientôt ces chiffres... c'est-à-dire?

Nicolas Schmit: Nous disposons des formulaires E3Ol (qui sont remplis lorsqu 'un salarié perd son emploi au Luxembourg, ndlr.), mais ils ne disent pas tout... Il y a, parmi ceux qui les remplissent, beaucoup de gens de l'intérim. Cela ne constitue donc pas forcément un indicateur très fiable. L'idéal serait de pouvoir utiliser les banques de données de la sécurité sociale, mais ce n'est pas aussi facile que cela.

Enfin, il faut savoir que depuis le ler1 er mai, le Luxembourg doit, selon une disposition européenne, rembourser les trois premiers mois de chômage des salariés frontaliers qui ont travaillé ici, sur la base du tarif en vigueur dans leur Etat de résidence. Lorsque le mécanisme sera un peu plus avancé, nous pourrons mieux vérifier et établir qui a perdu son emploi et sous quelles conditions.

paperJam: Comment cette disposition a-t-elle été budgétisée?

Nicolas Schmit: Dans le cadre du fonds pour l'emploi, nous avons prévu une vingtaine de millions d'euros. Mais cela ne couvrira qu'une période de sept mois, puisque la disposition n'est en vigueur que depuis mai.

paperJam: Vous évoquiez la problématique de la qualification des demandeurs d'emploi. Les volets formation et apprentissage sont-ils, dans ce contexte, deux priorités absolues?

Nicolas Schmit: Il s'agit en tous les cas de deux des axes de travail, sachant que toutes les pistes se croisent et doivent être bien coordonnées. Il y a, d'abord, la réforme de l'Adem, qui doit permettre un meilleur suivi personnalisé des demandeurs d'emploi.

Dans le cadre de ce suivi personnalisé, il y a sans aucun doute des éléments liés aux compétences, à la formation continue ou à la requalification qui devront être pris en compte. Il faut bien sûr différencier selon les niveaux de qualification des différents demandeurs, mais aussi selon l'âge. On ne traite pas les jeunes de la même façon que ceux qui ont de l'expérience. D'une manière générale, l'offre de formation et l'orientation des jeunes et des moins jeunes doivent être traitées avec plus d'attention.

paperJam: Cette réforme de l'Adem est-elle compliquée à mettre en œuvre?

Nicolas Schmit: Dans la mesure où cette réforme est engagée à un moment où il y a un nombre de chômeurs élevé, oui, c'est difficile. Il aurait sans doute mieux valu avoir une Adem performante au moment d'avoir à gérer cet afflux de chômeurs. Mais cette réforme prend forme. Je vais très prochainement présenter une nouvelle organisation de la direction, qui se basera sur un comité de direction.

Nous allons également présenter des innovations quant à la manière dont les demandeurs d'emploi sont pris en charge. Nous allons notamment mettre en place une prise en charge précoce, axée sur les compétences. Nous allons renforcer les relations et les liens avec le monde économique et nous allons proposer un meilleur suivi du demandeur d'emploi, moins bureaucratique et administratif, en vue de le réinsérer effectivement sur le marché du travail.

paperJam: Sentez-vous une large adhésion, en interne, à cette réforme?

Nicolas Schmit: Je constate une bonne mobilisation au sein de l'Adem et une volonté de la plupart des collaborateurs de s'engager davantage et de revoir leurs méthodes de travail. Tout cela n'est possible que si nous leur donnons le temps et les moyens, donc davantage de ressources, mais aussi un meilleur système informatique, ce qui va prendre un peu de temps, car ça ne se fait pas du jour au lendemain.

Pour ce qui est des ressources, nous avons pratiquement terminé l'engagement de 40 personnes supplémentaires dans le conseil professionnel.

Tout cela se fera avant que le projet de loi ne soit déposé, sans doute en septembre. Cette loi viendra en fait consacrer tout ce qui va être mis en place. Une réforme comme celle de l'Adem ne peut absolument pas se limiter à l'adoption d'un projet de loi. Elle doit se faire à l'intérieur de l'organisation, avec les gens de l'organisation, avec des méthodes de travail. Il faut changer la culture au sein de l'organisation, et ça ne se fait pas au travers d'une loi. Je préfère privilégier la pratique et l'entériner dans le projet de loi. La réforme est déjà assez avancée et cela aurait été une erreur de commencer par un projet de loi. Nous aurions alors mis au moins un an avant que la loi ne soit adoptée et que la réforme puisse être engagée.

Le sociologue français Michel Crozier a écrit: 'On ne change pas la société par décret.' Il faut savoir provoquer les changements autrement. Penser qu'on peut uniquement changer les choses par une loi, c'est aller vers l'échec.

paperJam: Vous venez de déposer un projet de loi concernant certaines mesures temporaires visant à promouvoir l'emploi et à adapter certaines modalités d'indemnisation de chômage. Quel est son objectif?

Nicolas Schmit: Il s'agit du résultat de quatre réunions tripartites sur le marché de l'emploi. Il contient des aspects spécifiques relatifs à la réinsertion des seniors ou à une meilleure coopération entre les services sociaux et l'Adem, mais il traite aussi des aspects formation, qualification et orientation.

La collaboration avec les ministères de l'Education et de la Jeunesse, pour aider les jeunes qui quittent l'école sans diplôme, est prometteuse. Nous nous reverrons à l'automne avec une analyse complète du système de formation continue, de ses forces et ses faiblesses. On verra alors s'il faut éventuellement aménager les systèmes de soutien.

Il est essentiel, aussi, de bien intégrer cet aspect dans la réforme en cours de l'Adem, afin qu'un demandeur d'emploi puisse bénéficier d'une formation ou d'une qualification complémentaire. Tous ces aspects sont interconnectés. Mais il est clair que le grand défi, outre la formation, c'est au niveau de l'école qu'on le trouve: quelles sont les qualifications à privilégier pour l'avenir? Les jeunes le demandent aujourd'hui. Ce n'est pas facile. Il n'y a pas de solution miracle ni de réponse toute faite pour dire aux jeunes 'c'est ça qui va marcher demain.

C'est pour ça qu'en vue de proposer une orientation plus fiable et d'assurer une meilleure interaction entre le marché du travail et l'école, je souhaite que soit mis en place un observatoire du marché du travail, qui s'occupera davantage de ce qu'on appelle 'new skills news jobs' et permettra d'adapter les formations aux besoins nouveaux exprimés par le marché. Un tel observatoire engagera l'Adem, le ministère de l'Economie et de l'Education ou encore le Statec. J'espère concrétiser sa création à la rentrée.

paperJam: Il existe un certain nombre de mesures pour l'emploi des jeunes au sein des entreprises, comme les contrats CIE-ep (contrats d'initiation à l'emploi-expérience pratique), mais certaines sont relativement peu utilisées. Comment l'expliquez-vous?

Nicolas Schmit: Il y a certainement beaucoup de raisons. La première d'entre elles est que nous n'avons pas eu, et heureusement, une explosion du chômage des jeunes, comme d'autres pays l'ont connue. Les jeunes qualifiés ont pu trouver un emploi sans nécessairement passer par une mesure pour l'emploi, ce qui est un cas de figure que je préfère. Cela dit, le chômage des jeunes reste trop élevé et il faut rester vigilant avec l'arrivée d'une nouvelle classe d'âge sur le marché du travail.

paperJam: On parle des jeunes, mais les seniors constituent également une autre préoccupation en ce moment. Quelles sont vos intentions les concernant?

Nicolas Schmit: Nous avons actuellement un faible taux d'emploi pour les seniors à partir de 55 ans. Il tombe autour de 30%, pour la simple raison que nous avons un régime de préretraite très favorable. Nous avons une date officielle de départ à la retraite de 65 ans et une date effective un peu en dessous de 60 ans, due à ce régime de préretraite qu'il faut différencier davantage. La discussion prioritaire n'est certainement pas de rallonger ou de changer cette date de départ en retraite. En revanche, il n'est pas normal que des gens qui pourraient, sans difficulté, continuer à travailler soient poussés vers la sortie. Le régime favorable de préretraite les encourage à sortir du monde du travail, et les entreprises se débarrassent de leurs seniors de cette manière-là. Cela doit rester un instrument ponctuel dans le cadre d'une restructuration, par exemple, mais pas un système généralisé.

paperJam: Quelles sont les pistes de réflexion en la matière?

Nicolas Schmit: Nous devons aborder la question dans un contexte plus large, qui est aussi celui de la réforme des retraites. Nous verrons ensemble, avec le ministre de la Sécurité sociale, comment combiner certaines formules de retraite et de travail, mais aussi comment introduire des formules de temps partiel sur base volontaire, y compris pour les seniors. Il faut, a contrario, progressivement abandonner cette approche qui veut que beaucoup d'entreprises poussent les gens dehors à 55 ans.

Il y a aussi le problème de ceux qui perdent leur emploi à 50 ans et qui ont alors du mal à réintégrer le marché de l'emploi. Il faut préparer cette phase bien en amont, tout au long de la vie active, et ne pas s'en occuper seulement lorsqu'arrive l'âge de la cinquantaine.

La sécurisation d'un parcours professionnel doit se faire tout au long d'une carrière, ce qui nécessite d'intégrer les volets formation, qualification, préparation aux changements technologiques. La formation continue reste le meilleur instrument pour mieux préparer les personnes plus âgées: changer de responsabilités, changer d'affectation, utiliser leur savoir-faire, leur fidélité à l'entreprise. Car tous ceux qui ont étudié la situation des seniors ont vu que ce sont les plus stables et les plus fidèles à l'entreprise. Il faut bien évidemment différencier selon les métiers en ayant une approche ouverte, car la situation n'est pas la même selon les emplois.

paperJam: Quel échéancier vous êtes-vous fixé?

Nicolas Schmit: En septembre, comme annoncé lors de la Tripartite, je veux réunir les partenaires sociaux. Nous allons réunir un groupe de travail avec pour mission d'étudier l'élaboration d'une sorte d'accordcadre pour les seniors. Sur cette base, il faudra voir si on doit légiférer. La France, par exemple, a légiféré en introduisant des quotas de travailleurs seniors et en prévoyant des sanctions. Est-ce la bonne voie? Je n'en suis pas absolument convaincu. Mais ce qu'il faut, c'est avoir des dispositifs qui assurent mieux le maintien des seniors dans l'emploi. D'ailleurs, dans le projet de loi déposé début juin, il a été ajouté une mention particulière dans un souci de protection des salariés âgés.

Dernière mise à jour